Les ouragans meurtriers sont 300 % plus fréquents qu’avant

Rapport de Deep Sky Recherche : Précipitations extrêmes liées aux ouragans

La saison des ouragans de 2024 commence sur une note inquiétante. Les températures de la surface de la mer, qui battent des records, modifient la manière dont les ouragans se forment, ainsi que le rythme de leurs apparitions. Très tôt dans la saison, l’ouragan Beryl a battu tous les records pour une tempête de ce type, faisant 64 morts et privant d’électricité des millions d’habitants de Houston. Pour sa part, la tempête tropicale Debby a provoqué des inondations dévastatrices tout le long de la côte de l’Atlantique Sud. Et la saison des ouragans ne fait que commencer.

Deep Sky Recherche a analysé des millions de points de données afin de comprendre l’évolution des ouragans et d'anticiper ce à quoi ressembleront cette saison et les suivantes.  

Que peut-on attendre d'une saison cyclonique sans précédent ?

La plupart des décès provoqués par les ouragans sont dûs aux immenses quantités d’eau que ceux-ci déversent sur les régions côtières. Les inondations ont également des répercussions financières. Par exemple, les compagnies d’assurance commencent à se retirer de certains États comme la Floride en raison des risques d’inondations. Cette situation entraîne une crise de l'assurance habitation et affecte la valeur des logements.  

Résultat 1 : la fréquence des précipitations extrêmes liées aux ouragans a augmenté de 300 %.

Le modèle de Deep Sky Recherche démontre que les précipitations extrêmes qui survenaient jadis une fois par siècle se produisent désormais tous les 25 ans. De plus, les précipitations les plus intenses (avec leur lot d’inondations, de destructions et de décès) sont 300 % plus courantes qu’il y a 40 ans. Pour en savoir plus, consultez notre explication relative aux « périodes de récurrence » dans notre article sur la méthodologie.

La probabilité de voir apparaître des tempêtes plus petites a doublé. C’est le cas avec l’ouragan Beryl, qui a eu des effets dévastateurs sur la région de Houston et dans les Caraïbes. Il a déversé sur Houston des pluies qu’on voyait auparavant tous les sept ans mais qui, aujourd’hui, se répètent tous les trois ans. Ces événements ne sont plus rares du tout, et on s’attend à ce que leur fréquence comme leur gravité continuent d’augmenter. Les voilà devenus la nouvelle normalité.  

Résultat 2 : la gravité des précipitations extrêmes liées aux ouragans a augmenté de 33 %.  

Les ouragans ne sont pas seulement plus fréquents qu’avant : ils sont aussi plus intenses. En effet, les précipitations maximales enregistrées lors d’un ouragan ont fait un bond de 33 % ! Le modèle tient compte des données sur les précipitations totales sur 24 heures dans le sud-est des États-Unis, tout au long de la saison des ouragans.  

Cela signifie que les pires ouragans d’aujourd’hui entraînent des dégâts beaucoup plus importants qu’avant, battant les anciens records. Aux États-Unis, les ouragans ont entraîné les pires destructions jamais enregistrées pour une catastrophe météorologique au cours des quarante dernières années, avec des dégâts dépassant les 1 300 milliards de dollars, auxquels il faut ajouter la mort de milliers de personnes. Mais que se passera-t-il si les ouragans les plus dévastateurs s’aggravent encore?   

Bien entendu, un tel changement ne se fera pas du jour au lendemain, mais cette tendance a eu pour effet d’aggraver des ouragans extrêmes comme Katrina et Harvey. En outre, d’après le modèle, la tendance est bien enracinée, et des ouragans encore plus dévastateurs sont à prévoir, tant cette année qu’à l’avenir.

Résultat 3 : les ouragans pourraient coûter plus de 450 milliards de dollars au cours des 5 prochaines années (soit une augmentation de 50 %).

Selon Deep Sky Recherche, les pertes imputables aux ouragans devraient dépasser les 450 milliards de dollars américains au cours des cinq prochaines années dans les États situés autour du golfe du Mexique ou au sud de la côte Atlantique. La Floride pourrait subir les pertes les plus importantes, suivie de près par le Texas. Le modèle utilisé pour cette projection s’appuie sur les considérations suivantes : l’aggravation des précipitations décrite ci-dessus, l’historique des destructions dues aux ouragans au cours des 40 dernières années, l’observation du changement climatique (avec notamment la hausse des températures à la surface de la mer), ainsi que l’augmentation de la population et des investissements dans les régions exposées aux risques d’ouragans. L’analyse de Deep Sky se fonde sur des données publiques provenant du Copernicus Climate Data Store, de la National Oceanic and Atmospheric Administration (NOAA) des États-Unis et du US Census Bureau (Bureau de recensement des États-Unis). Le modèle comporte d’importantes limites et incertitudes, décrites plus en détail dans l’annexe technique.

Cette estimation représente une augmentation de 50 % en 5 ans, et comprend la saison des ouragans de 2022, qui occupe le troisième rang des plus coûteuses jamais enregistrées dans la région Atlantique. Par ailleurs, le nombre de décès va lui aussi augmenter, du fait des effets immédiats des tempêtes, mais également en raison des pannes d’électricité (plus de détail ci-dessous).  

Résultat 4 : les États situés sur la côte autour du Golfe sont confrontés aux plus fortes augmentations des précipitations.

La gravité des précipitations liées aux ouragans se renforce davantage dans certaines zones que dans d’autres. Les États situés le long de la côte du Golfe, notamment le Texas, la Louisiane et le Mississippi, doivent s’attendre aux plus fortes augmentations des précipitations, tandis que dans les États de la côte Atlantique, tels que la Caroline du Nord et la Caroline du Sud, l’évolution devrait être moins importante. Au cours de la même période, la Géorgie a même constaté une légère diminution.

Résultat 5 : les régions situées autour de l’Atlantique Sud connaîtront désormais tous les ans des crues soudaines.  

Les crues soudaines peuvent survenir lorsque des précipitations torrentielles se conjuguent à une onde de tempête (la montée rapide du niveau de l’eau dans le sillon d’une tempête tropicale). Les ondes de tempête sont de plus en plus fortes parce que les ouragans sont de plus en plus puissants, mais aussi parce que le niveau des mers s’élève. De ce fait, quand une onde de tempête se produit, les inondations sont plus graves.  

Les inondations dévastatrices ne sont plus la conséquence de tempêtes exceptionnelles. Au contraire, Deep Sky Recherche indique qu’il faut désormais s’attendre à voir ce phénomène chaque année le long de la côte sud de l’Atlantique. 

La carte ci-dessous présente la zone inondée totale et la profondeur moyenne des inondations qui devraient se produire en général chaque année, dans chaque comté américain de la côte sud de l’Atlantique. En ce qui concerne la côte du Golfe, les données similaires ne sont pas encore connues.

Les inondations qui se produisent dans les zones densément peuplées sont les plus destructrices. La région métropolitaine de Miami compte plus de six millions d’habitants. Elle se compose de trois comtés particulièrement exposés aux risques de crues soudaines provoquées par des ouragans.  

On s’attend désormais à ce qu’une tempête par an en moyenne atteigne une hauteur semblable à celle présentée dans l’illustration modélisée ci-dessous. L’image montre quels seraient les effets d’une inondation d’une hauteur de 76 cm environ (2,5 pieds) à Miami Beach. Les autorités locales travaillent dur pour protéger les citoyens contre les destructions, mais leurs recours sont limités face aux inondations qui gagnent en fréquence et en gravité.  

Deep Sky Recherche a travaillé en collaboration avec Climate Central FloodVision pour produire cette image qui illustre les risques liés aux futures tempêtes.   

Les habitants de toute la Floride sont beaucoup plus exposés aux risques d’inondations que leurs voisins des autres États du Sud-Est.

Et ils en ressentent les effets.

Selon une enquête menée par Deep Sky auprès de la population américaine, 24 % des personnes interrogées ont subi des dégâts matériels liés aux conditions météorologiques extrêmes résultant du changement climatique. Par rapport à la moyenne des personnes interrogées, les habitants de Floride étaient plus de deux fois plus susceptibles de subir des destructions.   

Résultat 6 : Houston est la ville la plus exposée aux pannes d’électricité provoquées par les ouragans.

Avec l’ouragan Beryl, des centaines de milliers d’habitants de la région de Houston ont été privés d’électricité pendant plus d’une semaine, et, au total, plus de deux millions d’habitants se sont retrouvés sans électricité. Les ouragans comme Beryl provoquent des destructions et des pertes humaines qui sont amplifiées par les pannes d’électricité dues aux ouragans. Il arrive que certaines personnes décèdent non pas à cause de l’ouragan en lui-même, mais en raison d’une exposition à la chaleur attribuable à une panne d’électricité et au manque d’air climatisé.

L’ouragan Beryl a mis en évidence le risque croissant pour les Américains qui vivent près des côtes du Golfe ou de l’Atlantique. Les données recueillies au cours de la dernière décennie montrent les endroits où le réseau est le plus exposé aux risques de pannes d’électricité dues aux ouragans. La carte ci-dessous présente les risques de pannes d’électricité dues aux ouragans, par comté.

Ce tableau présente les dix comtés les plus exposés aux pannes d’électricité dues aux ouragans. Dans 9 cas sur 10, ce risque augmente. Comme on a pu le constater avec l’ouragan Beryl, la région de Houston est particulièrement exposée. Cela s’explique en partie parce que la région a une grande probabilité de se trouver sur la trajectoire de tempêtes violentes, et en partie parce qu’il existe des problèmes bien connus concernant le réseau électrique du Texas. La plupart des habitants de Houston a déjà envisagé de quitter la région et plus de la moitié d’entre eux invoque les conditions météorologiques extrêmes pour justifier leur envie de partir.

Tableau 1 : Comtés les plus vulnérables aux pannes dues aux ouragans

Les pannes d’électricité dues aux ouragans sont particulièrement dangereuses, car elles ont tendance à se produire pendant les périodes les plus chaudes de l’année, dans des zones où les températures sont très élevées. Une exposition prolongée à des températures élevées sans climatisation peut entraîner de nombreux problèmes de santé, voire, dans certains cas, le décès.

Les pannes d’électricité ont également des répercussions sur la capacité des hôpitaux à prendre en charge les patients, comme a pu le constate le Docteur Storr, médecin consultant en médecine d’urgence au Rand Memorial Hospital de l’île de Grand Bahama, après le passage de l’ouragan Dorian aux Bahamas en 2019.  

« Les pannes d’électricité ont entraîné des problèmes d’aération, car les climatiseurs ne fonctionnaient plus, ce qui a amené les gens à ouvrir les fenêtres et les portes », explique le Dr Storr. « De plus, les pannes ont compliqué la réalisation de procédures médicales comme la dialyse pour le système de santé. Des gens nous ont également consultés des semaines plus tard avec des problèmes respiratoires attribuables aux moisissures amenées par les inondations. De plus, certains survivants qui ont perdu un être cher ou des biens ont développé des enjeux de santé mentale comme l’anxiété, une dépression ou un trouble de stress post-traumatique. Et c’est sans parler de l’épuisement que l'on a vu chez les intervenants médicaux qui ont dû travailler de longues périodes dans des conditions d’urgence, dans un contexte de pénurie de ressources et de personnel. »

 

Conclusion

De nombreux effets du changement climatique évoluent lentement, mais certains peuvent être dévastateurs du fait de leur intensification soudaine. Les conséquences de l’aggravation de la violence des ouragans ne se feront pas sentir dans les 50 prochaines années, mais dans les 5 prochaines. Une telle évolution va entraîner des milliards de dollars de dégâts, la destruction de centaines de milliers d’habitations et la perte de nombreuses vies.  

Il est difficile d’imaginer des ouragans plus violents que Katrina et Harvey. Mais au lieu de nous contenter des évacuations faites à la dernière minute, nous devrions analyser sérieusement les risques auxquels nous sommes confrontés, et nous serions ainsi mieux préparés. 

Méthodologie

Les principes fondamentaux de la recherche de Deep Sky sont expliqués dans l’article consacré à la façon dont nous modélisons le climat.  

Cette étude analyse 40 ans de données sur les ouragans, de 1983 à 2024, dans le sud-est des États-Unis. Les données utilisées dans cette étude comprennent : les données de la Réanalyse du CEPMMT, v5 (ERA5), sur les précipitations et les températures à la surface de la mer, téléchargées à partir du site Copernicus Climate Data Store; l’historique des données concernant les destructions, publié par la NOAA, les projections relatives aux risques d’inondations côtières de l'USGS, l’historique des données concernant les pannes d’électricité, établi à partir des données sur les pannes d’électricité publiées par l’application EAGLE-I; les rapports OE-417 du ministère de l’Énergie; et les données sur l’évolution du stock de biens d’équipement dans les zones exposées aux ouragans, tirées du US Census Bureau (Bureau de recensement des États-Unis). Comme cela a été mentionné plus haut, au cours de ses recherches, Deep Sky a travaillé avec Climate Central FloodVision afin de fournir une représentation des risques d’inondation à Miami Beach.  

Cette étude utilise les statistiques des valeurs extrêmes afin de modéliser les tendances des précipitations. Elle utilise aussi l’apprentissage automatique pour l’analyse des destructions dues aux ouragans. Une annexe technique est consultable sur demande.