Et si nos modèles climatiques étaient inexacts?

Et si nos modèles climatiques étaient inexacts?

Deep Sky mène une nouvelle recherche appliquant une approche inédite pour prédire les conséquences des changements climatiques et constate que les modèles du climat actuels pourraient sous-estimer les risques à l’horizon. 

L’importance des modèles climatiques

Des organisations internationales comme l’ONU et le GIEC utilisent ce type de modèles pour prédire les répercussions des changements climatiques. Le GIEC fait la moyenne des valeurs dans des centaines de modèles pour établir ses projections officielles, qu’il diffuse auprès des gouvernements, des médias et du grand public. Les gouvernements utilisent ensuite ces projections pour savoir à quel point le temps presse pour réduire les émissions ou déterminer comment ils doivent se préparer à des tempêtes de plus en plus violentes.  

Les modèles de climat forgent notre compréhension des risques posés par les changements climatiques. Ils simplifient notre environnement naturel dans des programmes informatiques qui sont en mesure de faire des prédictions – un travail impressionnant. Mais comme on dit en statistique, « tous les modèles sont faux, mais certains sont utiles. » Un seul modèle ne peut pas représenter à lui seul la réalité. Et si nos modèles climatiques n’étaient pas aussi utiles que nous le pensions? Et s’ils se trompaient d’une manière qui pourrait mettre l’humanité en péril? 

Les lacunes des modèles actuels

Les scientifiques faisant preuve de prudence étouffent leurs pires craintes et attendent d’avoir plus de preuves avant de publier quoi que ce soit. Les spécialistes en gestion des risques, comme les actuaires dans le secteur de l’assurance, adoptent une approche inverse pour établir des estimations prudentes. Ils commencent par envisager un risque plausible et grave, puis ils revoient celui-ci à la baisse, s’il y a lieu. Quels sont les pires scénarios? Quel est leur degré de probabilité? Que peut-on faire pour les éviter?

L’approche des scientifiques, qui consiste à partir de ce qui peut être prouvé et à tester des hypothèses, a conduit à une grande incompréhension des risques associés au climat. La crise climatique se dégrade rapidement, et les projections climatiques ne nous préparent pas suffisamment à ce qui nous attend. Il faut donc procéder à une analyse rigoureuse des risques en particulier, s’inspirer des secteurs qui disposent d’une expertise dans l’évaluation et la gestion des risques, et juger avec discernement les conséquences de nos émissions de gaz à effet de serre. 

Les modèles climatiques comportent une très grande part d’incertitude. Prenons, par exemple, la sensibilité du climat. Cette mesure synthétise l’ampleur du réchauffement climatique attendu pour une tonne d’émissions donnée. Il s’agit d’un élément fondamental pour mieux comprendre les changements climatiques. Pourtant, on constate une incertitude étonnante à l’égard de la sensibilité du climat chez les scientifiques.  

Ce que les modèles ne savent pas

Les modèles climatiques comportent une énorme part d'incertitude. Prenons par exemple la sensibilité du climat. Il s'agit d'une mesure de l'ampleur du réchauffement climatique auquel nous devons nous attendre pour une tonne d'émissions donnée. Il s'agit d'une pièce fondamentale du puzzle du changement climatique. Pourtant, les scientifiques font preuve d'une incertitude étonnante en ce qui concerne la sensibilité du climat. 

Le graphique ci-dessous montre les estimations des scientifiques au cours des 20 dernières années relativement à une mesure courante dans leur communauté : la sensibilité du climat à l’équilibre (SCE). La marge d’incertitude, en rouge, n’a que légèrement diminué au cours de cette période et reste suffisamment grande pour que toutes les prévisions des modèles climatiques soient accompagnées d’un avertissement : si la SCE est proche de l’extrémité supérieure de la marge, la situation sera beaucoup plus grave que prévu.

Données collectées avec l'aide de Knutti et al. 2017 et de Zeke Hausfather.

Cela s’explique en partie par le fait que la mesure de la SCE repose sur des modèles climatiques qui comportent eux-mêmes une grande part d’incertitude. En fait, la plupart des recherches représentées dans le graphique reconnaissent que les estimations de la SCE ne tiennent pas compte des points de basculement. De plus, des données paléontologiques probantes révèlent que cette mesure évolue en fonction des températures et qu’elle augmente avec la chaleur. Si nous tenions bien compte des boucles de rétroaction et des points de bascule, la sensibilité du climat illustrée ci-dessus seraient beaucoup plus élevées. Tout en s’améliorant lentement, notre connaissance de la sensibilité du climat est encore terriblement limitée, si bien que notre compréhension de ce qui nous attend est nettement insuffisante.

La création de modèles climatiques est un travail laborieux, qui nécessite d’énormes quantités de données, une puissance de calcul considérable et des fondements physiques complexes. Après tout, ces modèles simulent l’ensemble de notre environnement : océans, atmosphère, précipitations et plus encore. Nous devrions comprendre certains éléments de base à leur sujet avant d’accorder trop de confiance à leurs prédictions.  

Par exemple, nous ne sommes toujours pas en mesure de modéliser avec justesse les systèmes nuageux. Le GIEC met à jour ses projections de temps à autre à l’occasion de projets de comparaison de modèles couplés (CMIP). La plus récente phase, CMIP6, a apporté des changements importants aux projections précédentes. Ces changements démontrent presque tous que la situation est pire que ce que nous pensions. De nombreux scientifiques ont attribué ces changements à une mauvaise compréhension des formations nuageuses. Néanmoins, les experts qui étudient leur modélisation affirment que nous ne disposons toujours pas des connaissances de base nécessaires.

Cela peut sembler superficiel. À quel point les nuages sont-ils importants? En pratique, ils le sont beaucoup. L’ensemble de l’effet de serre à l’origine des changements climatiques est directement influencé par les nuages. La couche nuageuse renvoie le rayonnement solaire vers l’espace et en retient une partie qui traverse notre atmosphère. Elle a des effets importants de refroidissement et de réchauffement. Nous ne pouvons donc pas faire de projections climatiques fiables sans une bonne compréhension des systèmes nuageux.  

Un autre exemple est la présence d’«hydrates de méthane » dans le pergélisol et sur les fonds océaniques. La fonte des glaces libère du méthane dans l’atmosphère, un gaz à effet de serre beaucoup plus puissant que le CO₂. Nous savons que ce phénomène se produira et qu’il aura des répercussions importantes sur les changements climatiques, mais nous ne savons pas très bien où se trouve ce méthane et quel sera le taux d’émission. C’est pourquoi on le modélise de façon lacunaire, voire pas du tout. Certains modèles n’incluent pas les hydrates de méthane dans leurs projections en raison de l’incertitude.

Cela soulève des préoccupations concernant les modèles climatiques sur lesquels la communauté internationale a fondé sa compréhension de l’avenir de notre planète. Malgré toute cette incertitude, les scientifiques ont continué leurs prédictions. Les moyennes de centaines de prévisions très incertaines ne permettent pas de remédier à ces lacunes, car les modèles ont tendance à être limités de la même manière. Ils s’inspirent les uns les autres. Lorsque notre compréhension est biaisée, elle tend à l’être systématiquement. 

Inutile de chercher bien loin pour constater les conséquences de cette incertitude. Il suffit de voir à quel point les prévisions des scientifiques concernant les températures de l’année dernière étaient erronées. Heureusement, les savants des plus hautes sphères commencent à reconnaître publiquement cette lacune. Par exemple, le directeur du Goddard Institute for Space Studies de la NASA a écrit que « les anomalies de température en 2023 se sont manifestées de façon soudaine, ce qui témoigne d’un manque de connaissances sans précédent ». Il rajoute que « nous devons expliquer pourquoi 2023 a été l’année la plus chaude des 100 000 dernières années [et] trouver rapidement ces réponses ». En fait, un climatologue a qualifié les températures élevées de septembre 2023 comme suit : « absolutely gobsmacking bananas », soit ahurissantes et complètement dingues.

Des spécialistes en gestion des risques dans des secteurs comme l’assurance ont pour philosophie de garder les modèles simples dans les cas de grande incertitude. Les modèles complexes employés dans de telles situations en diront plus sur les hypothèses que sur la réalité qu’ils sont censés représenter. Les modèles climatiques actuels vont à l’encontre de cette philosophie sur tous les aspects : la modélisation du climat est extrêmement complexe et l’incertitude très grande. La confiance que nous accordons à leurs prédictions doit tenir compte de cette réalité.

Des prédictions manquantes

Les nombreuses sources d’incertitude nous incitent à ne pas accorder trop de confiance aux prédictions climatiques existantes. Et plus préoccupant encore, nous ne disposons d’aucune prévision pour certains facteurs. Comme indiqué précédemment, la science ne commence pas par les risques, mais par ce qu’elle peut prouver. L’insistance de la communauté scientifique sur le consensus intensifie ce problème. Dans son livre Five Times Faster, Simon Sharpe présente un exemple alarmant. Un article de recherche cité dans le rapport du GIEC de 2014 a révélé des détails affligeants sur l’incapacité des humains à survivre à des températures extrêmes, et sur la probabilité croissante de connaître ces températures si nous continuons à émettre des gaz à effet de serre. Les gens décéderaient de ces températures et de ces niveaux d’humidité même « [s’ils] se tenaient à l’ombre, étaient exposés à des vents violents, s’aspergeaient d’eau, ne portaient pas de vêtements et ne faisaient aucune activité ».

Les conclusions ne figurent pas dans la partie la plus importante du rapport, le « Résumé à l’intention des décideurs », en raison d’une convention selon laquelle « les informations ne pouvaient être incluses que si elles étaient étayées par au moins deux travaux de recherche indépendants » (traduction libre, page 21). Cela signifie que les décideurs politiques chargés de guider la société dans cette crise imminente ont pris connaissance de « neuf articles de recherche portant sur les effets des changements climatiques sur les stations de ski et de treize articles de recherche portant sur le thème important des risques climatiques pour la viticulture en Europe » (traduction libre, page 21), mais d’aucun écrit portant sur les risques de la chaleur extrême pour la vie humaine.  

Cela ne veut pas dire que le GIEC n'a jamais fait état des risques des chaleurs extrêmes pour la santé humaine. Le chapitre 7 du rapport AR6 mentionne un large éventail de recherches sur ce sujet. Le problème est plutôt de savoir si les résultats sont communiqués suffisamment tôt et de manière suffisamment visible pour que nous puissions prendre les mesures qui s'imposent.  

Des faits déjà connus chez les compagnies d’assurance

Les modèles climatiques se sont avérés peu utiles pour prédire exactement le plus important : ce qui pourrait vraiment mal tourner et comment s’y préparer. La température moyenne à l’échelle de la planète n’est pas fatale à elle seule – les sécheresses graves, les feux de forêt et la chaleur élevée le sont. Lorsque la recherche est axée sur ce type de risques, les conclusions sont beaucoup plus alarmantes.  

Les spécialistes en gestion des risques qui ont commencé à analyser les données climatiques ont trouvé choquant à quel point on sous-estime les risques. Les prévisions concernant les conséquences financières des changements climatiques sont extrêmement optimistes, et les « trajectoires de dépassement temporaire » du GIEC – où nous dépassons temporairement le seuil de réchauffement de 1,5 °C avant de redescendre au niveau initial – ignorent les preuves accablantes des points de bascule « de non-retour ».

Constatez le comportement des compagnies d’assurance.. Les tarifs d’assurance habitation de 31 États ont connu une hausse d’au moins 10 % en 2022, et de grandes compagnies d’assurance comme State Farm et Allstate ont cessé d’émettre de nouvelles polices en Californie en raison du risque accru de feux de forêt. Des États comme la Floride et la Louisiane ont également mis en place des restrictions importantes. La tendance est claire. Les habitations situées dans des zones de plus en plus étendues aux États-Unis sont en voie de ne plus être assurables. Ces compagnies ont des dizaines d’années d’expérience dans l’évaluation et la tarification des risques. Leur survie dépend de leur capacité à prédire les risques avec précision. En réalité, il en va de même pour nous, mais nous n’avons pas encore commencé à agir en conséquence.  

Une nouvelle approche à adopter

L’étude des risques climatiques à l’ère des changements climatiques nécessite une nouvelle approche. 

L’évaluation des risques peut nous aider à prévoir les catastrophes. Les scientifiques utilisent des méthodes statistiques basées sur des échantillons de grande taille pour évaluer les probabilités. L’un des problèmes liés à la prévision d’événements extrêmes et rares, tels que les tempêtes ou les sécheresses toujours plus fréquentes et intenses, est que nous ne disposons pas d’exemples antérieurs sur lesquels fonder notre analyse. Il n’y a pas de précédent. Nous devons donc être en mesure de prévoir des événements qui ne se sont jamais produits. L’absence de précédent implique que ces événements sont très peu étudiés. Encore une fois, le problème est que les sujets de recherche sont choisis en fonction de ce qui peut être prouvé, plutôt que de ce qui compte vraiment.

Des chercheurs appliquant une nouvelle technique de modélisation, UNSEEN, ont découvert qu’ils pouvaient prédire des événements qui ont pris le monde entier de court. Cette méthode regroupe les prévisions météorologiques numériques afin de nous aider à mieux comprendre les possibilités. Elle nous permet de constater une augmentation rapide des risques que nous avons ignorés.

La recherche de Deep Sky se base sur cette nouvelle approche de modélisation pour évaluer le risque d’une vague de chaleur grave qui aurait des conséquences dévastatrices sur l’agriculture et l’approvisionnement alimentaire des États-Unis. Nous avons constaté que des événements qui arrivaient autrefois tous les 100 ans se produiront désormais tous les 5 ans. Autrement dit, le risque est 20 fois plus élevé en raison de nos émissions de gaz à effet de serre.   

De nouvelles méthodes de modélisation peuvent nous aider à évaluer le risque de catastrophe climatique, ce que la science traditionnelle sur le climat n’a pas réussi à faire jusqu’à maintenant. Plus nous procédons à ce type d’analyse, plus il devient évident que notre situation est précaire. Nous devons réduire les émissions immédiatement et accélérer l’élimination permanente du carbone afin d’éviter une catastrophe. Les risques sont trop grands; nous n’avons pas d’autre choix.